Visite (3e partie)

Publié le par ROBERT MARTIN

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Première partie :

http://ptitbob.neufblog.com/juste_comme_a/2007/01/la_nuit_avait_d.html

Deuxième partie :

http://ptitbob.neufblog.com/juste_comme_a/2007/02/visite_suite.html

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Oui, il devait exister autre chose. Mais de cela, petit enfant déjà, nous avions abordé le sujet, elle et moi. Avec des mots simples, elle me parlait du Petit Jésus. Mais pas un "Petit Jésus" vraiment religieux, plutôt un petit homme vivant "au Ciel", prétexte à me raconter les anges. Et des anges, comme elle semblait en connaître. Bien sûr,du haut de mes plus tendres années, ses histoires m'émerveillaient, elle y mettait tant de passion et d'amour qu'on eut dit qu'elle les avait cotoyés.

Ah, Mémée, je n'oublierais jamais ces instants de bonheur, où à l'heure du coucher, tu me disais : "Viens, mon Biquet, tu vas me dire ta prière, viens."  Tu t'installais sur mon lit, assise tout contre moi, et tu m'écoutais. Tu écoutais mes remerciements innocents à ce Petit Jésus que tu semblais connaître. Je lui demandais toujours de te protéger. Je te revois sourire tes yeux dans les miens avant de remonter sur moi draps et couvertures et de me donner ce baiser rituel d'amour qui promettait une belle nuit pleine d'étoiles. Jamais tu ne m'as dit qu'il fallait dire une prière de telle ou telle façon, non, tu laissais libre court à mes énoncés de bons sentiments.

Et le matin... Quand j'étais réveillé avant toi - tu te souviens - tu m'ouvrais ton lit et me disais : "Allez viens faire calin à Mémée". Et je plongeais dans tes bras, et tu m'embrassais comme toi seule le faisais à cet instant : un énorme bisou insistant suivi d'une petite serie de baisers courts comme un pivert touche de son bec l'écorce de l'arbre. Que de délicieux souvenirs tu me préparais déjà. Je devais avoir trois ans, quatre peut-être... Qu'importe. "Oh, mais tu as les pieds tout froids, Je vais te les réchauffer". Et tes pieds à toi embrassaient les miens dans une chaleur douce, parfois me chatouillaient et nous partions alors dans des fous-rires complices. Tu m'enlassais contre toi et, inévitablement, je me rendormais dans le cocon protecteur de tes bras.

La maison était une vieille ferme délaissée d'animaux, à l'orée d'un bois. (Certain doivent croire que j'invente tout cela, mais pourtant dis-leur toi que c'est la vérité). Il y avait ma chèvre blanche de l'autre côté du petit chemin. Il y avait la Denise aussi (Tu te souviens de la Denise et de sa cuisine tapissée de mouches ? C'est étrange, Mémée, mais à l'instant où j'écris je te sens près de moi, tu souris de mes évocations et je sens comme si ta main me carressait la joue...) Elle m'emmenait dans la forêt garder avec elle, son petit troupeau de chèvres. Elle m'aimait bien, la Denise. On s'arrêtait dans une petite clairière d'herbe fraîche, je préférais cet endroit à l'autre, un peu plus loin, où le blé coupé m'égratignait les mollets. Je goûtais de son fromage. Des fois, on faisait le "tour complet" et le sentier nous ramenait par devant la maison de "la sorcière". Te souviens-tu de cette petite dame toujours en noir devant la porte de sa maison de pierre qui ne disait jamais rien, un foulard sur la tête. Remarque, elle ne pouvait rien me dire tant, du haut de mes trois pommes, elle m'éffrayait. Ce n'est pas pour rien que je l'avait surnommée "la sorcière".

Que de bons souvenirs, Mémée. Combien de mercis te dois-je de tout cela. Tu vois, tu es partie mais tu es toujours avec moi. Jamais je n'en parle. Jamais. Je sais que tu croyais en moi pour plein de choses, tu étais fière de moi. Trop peut-être. Je n'ai pas été à la hauteur. J'ai été un imbécile.

Ce que tu m'as donné est toujours là, en moi. Le temps est passé. Putain de temps ! Ma vie a pris un tournant ! Tu es dans mes souvenirs et dans ma vie de tous les jours. Mais il y a un dossier qui est lourd, rangé dans le tiroir de mon coeur. Très lourd.

Pendant combien de temps, ne suis-je pas allé te voir ? Pendant combien de temps ai-je été ce petit mec trop con ? Trop con pour comprendre que tu me tendais tes bras comme lorsque j'étais enfant. Trop con pour comprendre que cette fois, c'est toi qui avais besoin de mes calins et d'histoires douces pour t'endormir. Trop con pour ne plus vouloir sentir ton parfum.

Trop con pour avoir eu peur ! Eu peur de t'imposer ma vie ! Ma vie, Mémée... Peur que que tu ne la comprennes pas, que tu me donnes des conseils que je ne voulais pas entendre. A cet âge que l'on dit bête et que j'avais alors, si j'avais pu savoir ce que j'ai compris plus tard... Trop tard ! 

Alors elle a pris ma place, cette saloperie ! Alors elle t'a emporté, cette putain de maladie ! Tu m'as réclamé, ô combien réclamé, Mémée, je le sais trop, oh oui, comme je le sais... J'étais trop con !!!

Alors oui, le remors a commencé à me manger. Alors oui, je suis allé te voir... avant la fin. Mais je n'aurais pas dû. Comment aurais-je pu un jour, t'imaginer là, dans ce lit blanc, dans cette chambre blanche, avec ton visage blanc et nu, toi si coquette. Tes yeux étaient clos, et tu ne m'as pas vu. Sais-tu que je suis venu ? Sais-tu que j'ai tourné la tête face à ce visage qui n'était plus le tien ? Sais-tu que je n'ai pas pu ? Pas pu t'embrasser ? Pas pu te dire que je t'aimais ? Pas pu retenir mes larmes ? Pas pu retenir cette bile amer qui broyait mon ventre ? Pas pu.... Pas pu... PAS PU !!!

Et puis, la rongeuse a gagné le combat. Tu as fait tes valises et le jour du départ, j'étais là dans cette gare aux vitreaux colorés où résonnaient les pas de ceux qui étaient venus pour agiter leurs mouchoirs dans un dernier adieux.

Je sais que tu ne m'en veux pas. Jamais tu ne m'en a voulu de quoi que ce soit. Jamais. C'est moi qui m'en veux.

Et si tu es revenue cet étrange soir, ce n'est pas pour rien. Fidèle à toi même, Mémée, tu t'es assise sur le bord du lit, comme avant, et tu m'as dit sans mots que les anges de mon enfance existent, que les histoires du soir souvent ne sont pas que des histoires.

Ta venue était message d'amour. Tu ne m'as pas prononcé "Je t'aime", tu m'en as enveloppé. Je l'ai respiré. Je le respire encore sur le chemin que tu m'as montré ce fameux soir, ma ligne de conduite. Le soir où tu m'es revenue...

Je t'aime, Mémée.

20060929coeur20nuage   

                            MALGRE TOUT

La porte s'est ouverte comme une erreur sur ma vie.

Le fer rouge et vif de l'instant brûle encore mon coeur,

Plaie béante ravivée par le souvenir jamais évanoui

Qui broie mes entrailles en l'instant où j'écris.

Mes pas m'ont guidé en cet endroit sournois,

Lieu sinistre et inoubliable que je ne peux décrire,

Mais qu'importe après tout car je venais pour toi

Piétinant de mon corps ma gorge de tout mon poids.

Je me suis avancé vers ce lit froid, blanc et maudit,

Fée de tant d'années d'enfance et magicienne d'un bonheur,

Princesse endormie pour un prince charmant une autre Vie,

Tu partais loin d'un conte écrit par une sorcière-maladie.

Arrêter tout et réécrire l'histoire juste entre toi et moi,

Un instant seulement pour que s'efface mon lot de rancoeurs,

Dessiner et graver mes mots d'excuses sur un parchemin en soi,

Pour crier, te prier de m'aimer - mais comment le faire sans voix ?

La porte s'est refermée, inéluctablement a claqué sur ma vie

Alors, un poignard en mon âme au seuil de la tienne, j'ai vomi ma douleur.

Au souvenir de l'ultime rendez-vous manqué que je m'étais promis,

J'imagine et j'espère, jusque dans mes prières, que malgré tout...

      ... Que malgré tout, comme quand j'étais petit,

      ... Que malgré tout, en me quittant ainsi,

      ... Que magré tout - oh oui -

      ... Que malgré tout tu m'aies souri.

Poême : P'tit Bob

 

Publié dans Et si c'était vrai

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V
Après une telle lecture, un seul mot s'impose à mon esprit et dans mon coeur : émotion.<br /> Merci de partager ces vagues d'amour et de tendresse, qui rendent la vie et la mort plus douces.<br /> Mille baisers à toi et à Mémé (si tu le permets).<br />
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